"Une personne qui a subi des violences est souvent dans l’impossibilité de poser des mots sur ce qu’elle a vécu.  L'art-thérapie est particulièrement adaptée car elle est non verbale : les matières plastiques sont médiation thérapeutique, là où les mots sont difficiles voire impossibles. "
Cécile de Linage

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots?

Je suis art thérapeute certifiée. J’exerce l’art thérapie avec la médiation des arts plastiques.

Mon histoire personnelle m’a amenée à vouloir accompagner des personnes en souffrance,  suite à un traumatisme ou à une épreuve de vie douloureuse, tel un cancer ou une autre maladie grave, un deuil ou une séparation, une perte d’emploi ou un burn out, ou encore des violences.

J'accompagne des enfants, des adolescents et des adultes, en libéral dans mon atelier MATIÈRES ET SOI à Bordeaux, ainsi qu’en associations et en institutions de soins.

Les séances peuvent se dérouler en individuel ou en groupes. 


Comment en êtes-vous arrivée à l’art-thérapie?

A la lecture d’un article dans lequel un art thérapeute parlait de son métier, me former à l’art-thérapie est devenu une évidence pour moi, car cela donnait un sens à mon engagement professionnel. Ce métier me permet d’allier mon souhait d'aider les personnes en souffrances, à mon goût pour les arts plastiques.

J’ai obtenu ma certification en art-thérapie, spécialité arts plastiques, au terme d’une formation à l’ATEPP-CEFAT (Atelier d’Expression Plastique les Pinceaux - Centre de Formation à l’Art Thérapie) reconnu par le Syndicat Français des Arts Thérapeutes (SFAT).

C’est une formation exigeante de trois ans et demi.

Elle allie des enseignements théorico-cliniques, une pratique en ateliers d’art-thérapie auprès de différents publics sur toute la durée de la formation, et un travail personnel soutenu de recherche plastique avec différentes matières.

En parallèle, la formation nécessite un travail sur soi ; ainsi qu’une supervision, réalisée par un professionnel (art thérapeute, psychanalyste…), pour nous aider à prendre du recul par rapport à notre pratique clinique. Cette supervision, inscrite dans le code de déontologie du SFAT, est indispensable dans ce métier pour bien accompagner toute personne vulnérable.


Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’art-thérapie?

En deux mots : l'art-thérapie est une pratique de soins qui utilise les arts comme médiation thérapeutique.

En ce qui me concerne, ce sont les arts plastiques, mais cela peut être également le théâtre, la musique ou la danse.

En art-thérapie, l’invitation à créer est un appel à se connecter à soi-même.

Au cours d’une séance, ce n’est pas la production qui est importante, mais le processus créatif.

Ce qui compte, c’est la façon dont les matières sont utilisées, les gestes plastiques, la mise en mouvement du corps, les associations symboliques qui peuvent surgir : tout fait langage et sens.

Au travers du processus créatif, sont travaillées des questions en jeu sur le plan psychique.

Il s’agit de créer et en même temps de se (re)créer.

Je tiens à préciser qu’aucune pratique artistique préalable n'est requise pour tirer bénéfices des séances d'art thérapie.

créations Art Thérapie


Concrètement comment se déroule une séance ?

Les séances se déroulent dans un cadre thérapeutique bienveillant, sécurisant, accueillant et propice à la création, et bien sûr sans jugement.

Les personnes viennent à moi à un moment difficile de leur vie, avec des émotions ou des questions parfois lourdes à déposer. Je leur propose un accompagnement en douceur qui encourage une expression de soi authentique, en respectant la temporalité de chacun.

Je propose des techniques variées (dessin, peinture, modelage, collage, écriture…) et mets à disposition des matières classiques des arts plastiques (crayons, feutres, argiles, pastels, encres) ou d'autres matières (sables, papiers, tissus, fils divers…) pour autant que ces matières m’apparaissent appropriées pour travailler, dans le processus créatif, les questions psychiques en jeu. 

Les séances que je propose se découpent en trois temps :

1/Accueil et ancrage

2/Production plastique

3/Regard sur la production et échange sur ce qui s'est passé

Je précise que je n’interviens pas sur les productions en cours de processus, mais je suis là en soutien ; je ne porte aucun jugement et je n’en fais aucune interprétation.

Art thérapie

La première séance permet de faire connaissance mutuellement, à travers un ou des exercice(s) créatif(s) que je propose. Elle instaure la relation thérapeutique et permet de définir notamment la durée et la fréquence des séances.  

Le parcours thérapeutique se construit en fonction de la personne, de ses besoins et de la façon dont elle chemine.

Proposer un accompagnement personnalisé, est pour moi essentiel dans ma pratique car chacun arrive avec sa propre histoire et ses propres émotions.

Ainsi, aucune prise en charge n'est identique à une autre. Je conçois chaque séance en fonction de ce qui s’est passé au cours du processus créatif des séances précédentes.


A quel stade du parcours de reconstruction intervenez vous?

J’interviens tout au long du parcours : dans une situation d'emprise ou de harcèlement, au travail par exemple ; ou une fois que la personne s’est mise à l’abri d’une situation de violences, familiales ou professionnelles. 


Quelle est votre approche spécifique pour des personnes qui ont un vécu traumatique en lien avec des violences?

Une personne qui a subi des violences est souvent dans l’impossibilité de poser des mots sur ce qu’elle a vécu. 

L'art-thérapie est particulièrement adaptée car elle est non verbale : les matières plastiques sont médiation thérapeutique, là où les mots sont difficiles voire impossibles.

On me dit souvent en arrivant à la première séance : “J'ai beaucoup raconté mon histoire, je n’en peux plus, je ne vais pas bien, je veux essayer autre chose.”

Mon accompagnement est orienté sur 2 axes :

1/ Apaiser les souffrances dans le présent par rapport au vécu de l'événement traumatique en lien avec des violences

2/ Aider la personne à se reconstruire pour qu’elle puisse à nouveau vivre et non pas survivre.

L’art thérapie permet de se connecter à ses émotions, au travers des éprouvés singuliers que convoquent les matières dans son propre processus créatif. 

Ce travail sur les émotions est essentiel avec les victimes, car soit elles se sont coupées de leurs ressentis émotionnels afin de se protéger, soit elles ne réussissent pas à contrôler leurs émotions, en étant sans cesse dans un état d’angoisse ou d’hyper vigilance.

Afin de les aider à retrouver un équilibre émotionnel, il s’agit de lever des mécanismes de défense mis en place de façon inconsciente pour survivre suite à l'événement traumatique.

Au fil du processus créatif, elles vont peu à peu retrouver confiance en elles, se réconcilier avec elles-mêmes, aimer à nouveau leur corps au lieu de ressentir un sentiment de honte ou de culpabilité, retrouver un sentiment d'autonomie au lieu d’un sentiment d'impuissance.

Avancer vers la résilience, c’est-à-dire la capacité à rebondir après un choc traumatique, commence par un travail sur la bienveillance envers soi-même, par la stimulation de ses envies pour se sentir en vie, et par l’activation de ses ressources positives personnelles.  

En tant que thérapeute, mon objectif est de les aider à puiser des ressources en elles, ce qu’elles ne sont pas capables de faire seules au début, et de les guider dans une prise de conscience et une reconstruction qui se font en douceur, pas à pas.


Quels sont vos conseils pour orienter des personnes ?

Ma recommandation quand on va mal : ne pas rester seul avec ses souffrances et accepter de se faire accompagner.

Ce n’est pas toujours facile mais c'est souvent le premier pas vers la guérison, vers la résilience.

Je recommande aussi d’être ouvert à l'art thérapie, notamment quand les mots sont difficiles voire impossibles à poser sur les souffrances.

J’attire l’attention sur l’importance de vérifier la formation de la personne choisie pour être accompagné : une certification en art-thérapie garantit une bonne formation à l’accompagnement de personnes en situation vulnérable. 

Car malheureusement la profession d’art-thérapeute n’est pas encore réglementée en France, où l’art-thérapie reste aujourd’hui peu connue. Ce n’est pas le cas au Canada ou dans d’autres pays européens, où les bienfaits de l’art-thérapie sur la santé mentale ne sont plus à démontrer. 

Enfin, je tiens à préciser que l’art-thérapie ne remplace pas un suivi médical mis en place, mais elle peut s’inscrire en parallèle. Je travaille moi-même en complément de professionnels d'autres disciplines de soins, et ce dans le cadre d’un accompagnement global pour le bénéfice des personnes accompagnées.

 

Pouvez-vous nous partager un moment fort dans votre activité en lien avec une personne qui a vécu des violences?

Les personnes sont souvent surprises de ce qui peut se passer au cours d'une séance d’art-thérapie ou en fin de travail thérapeutique.

Ces mots d’une femme devant sa production, accompagnés de larmes et d’une expression lumineuse sur son visage, m’ont fortement marquée : "je ne savais pas que j'étais capable de faire cela, finalement j'ai aussi des belles choses à exprimer, je vais peut-être enfin pouvoir m'aimer et être aimée."

Elle ne se voyait plus comme coupable ou honteuse d'avoir subi des violences. Cette prise de conscience, rendue possible avec le chemin parcouru en art-thérapie, lui a ouvert de nouveaux horizons.


Quelles sont vos ressources personnelles ?

Je puise régulièrement des ressources dans des lectures. Sur le sujet de la résilience, en particulier,je me réfère aux écrits de Boris Cyrulnik.

Membre professionnel du SFAT et adhérente à la Société Française de Psychopathologie de l’Expression et d’Art-Thérapie (SFPE-AT), j’ai accès à des échanges entre pairs, et à une bibliographie régulièrement mise à jour, qui me permettent d’enrichir ma pratique clinique en fonction du public accompagné et des problématiques rencontrées.  

Mais ma première ressource, c'est ma propre expérience de résilience après un accident de vie. Elle m'a convaincue de 3 choses qui sont essentielles pour moi :

1/ Quel que soit le traumatisme subi, on n’est pas cette épreuve de vie, ce n'est pas notre identité.

2/ Il est possible, en étant bien accompagné, de puiser en soi des ressources positives, une force vitale qui permet de traverser l'épreuve et de s'en relever plus fort. Et c’est notamment ce qu’on va chercher en se connectant au plus profond de soi avec l’art-thérapie. 

3/ Une épreuve de vie ne ferme pas les portes à la possibilité de vivre pleinement, c’est-à-dire en étant libéré du poids d’un passé douloureux. 


Que pensez-vous qu'une plateforme comme Erity peut apporter dans le cadre d’un parcours de reconstruction ?

Erity est en train de se construire et se veut être un concentré d'informations, de témoignages et d'adresses utiles pour toute personne qui a subi des violences, ou personne de son entourage. 

Pour moi, cette plateforme offre à toute personne accès à la possibilité de sortir de l'isolement, de comprendre qu'elle peut se faire accompagner, de trouver un professionnel vers lequel elle peut se tourner.

C’est un projet magnifique auquel j’ai eu à cœur de participer dès que j’en ai eu connaissance.

Comment vous contacter ?

Vous pouvez passer par mon site internet

https://matieres-et-soi.com/

ou me contacter directement en MP sur Instagram https://www.instagram.com/matieresetsoi/

About the Author

Fondatrice d'Erity, avocate pendant 10 ans, elle a elle-même connu les affres du parcours de reconstruction et le stress post-traumatique. Elle sait que faire valoir ses droits peut être compliqué quand on a été victime de harcèlement et elle s'engage pour que la procédure judiciaire ne soit pas un trauma de plus. Son but, faciliter l'accès aux ressources et aux professionnels de l'accompagnement qui peuvent aider en cette période là.

{"email":"Email address invalid","url":"Website address invalid","required":"Required field missing"}
>